Crypte de l'Eglise N.D de la Croix Ménilmontant 75020 PARIS
ROBES EN VIE
Ces chemises en lin, cousues à la main, proviennent d'un hôpital du sud de la France et datent du début du XX siècle.
Chemises de jour, de
nuit, épaisses et rugueuses, elles ont abrité les douleurs, les plaintes, les traumatismes et les peines. Elles témoignent de la "fragilité" de l'homme dans ces moments où détresse, souffrance et faiblesse se
cumulent. Certaines sont anonymes, d'autres sont brodées finement, laissant imaginer avec émotion un prénom , un nom de famille.
Suspendues, pareilles à des kimonos en croix , elles tournent doucement en une valse
lente. A la manière de pages d'un dictionnaire illustré, elles se couvrent de dessins précis, minutieux qui évoquent les espèces animales, les arbres, les costumes populaires, les pensées intimes, les images
enfantines ou l'anatomie du corps humain. Répertoire en apparence incongru mais qui nous ramène à cette force et fragilité à la fois, des espèces, de l'environnement, de la tradition et du corps humain, tant
de lieux communs à protéger, soigner, entretenir. Ces robes habitacles qui ont traversé le siècle, amorcent ici une deuxième vie. Elles deviennent un support étonnant d'expression et de message.
Robes
de jour , robes de nuit.
Le corps transpire de racines secrètes , de forêts interdites.
Les désirs et les repentirs des nymphes se dessinent sur la trame du tissu .
Daphné
devient laurier pourchassée par les ardeurs insistantes d'Apollon.
Eve et Adam éplorés cachent leurs ombres malignes.
Le ventre de la mère , tissé de sang, donne naissance à des
enfants elfes.
Légendes obscures qui tordent les arbres en des viscères noueux.
Mi dieu mi homme, les peuples arborés défient la terre de leur chevelure dantesque et leurs corps se parent de lianes
St Georges terrasse le dragon dans les noeuds épais d'une racine.
Mains tendues , mains crochues qui agrippent le chaperon de l'enfant rouge.
Sous le silence du chêne , la
femme solitaire se prête à rêver d horizons.
Elle regarde muette la pousse nouvelle du jardin clos, attente.
Les cheveux de Sarah s'effilochent au vent.
Marguerite , la vieille,
tordue de partout , écaille ses mains.
Jeanne, la plus jeune, danse sur la canopée.
Le buisson ardent s'embrase sous la tourmente.
Mais au jardin , le coeur est léger.
Méditation, respiration...
Reliquaire : demeure des rêves enfouis, des cauchemars esseulés de broderies sans dessein.
Le temps est suspendu à ces robes, sentinelles de l'ombre,
cuirasses fragiles, endeuillées de coutures aveugles, ornées de pensées infusées, qui s'offrent comme un talisman.
Mireille ROUSTIT